Faire brèche
Il n’y a pas longtemps, l’on prétendait délimiter avec plus ou moins de précision la frontière entre ici et ailleurs. Aujourd’hui, un tel exercice est futile. La frontière tend désormais à se distendre, sinon à se dissoudre. Inexorablement.1
Avez-vous déjà tenté de tracer les frontières d’un pays, d’une ville sur une carte vierge? Il n’y rien de plus abstrait que cette fine ligne tracée sur le papier pour faire office de barrière.
Ces lignes scindent non seulement nos territoires pour en faire des cartes géopolitiques, mais elles transforment aussi sans qu’on ne s’en rende compte nos espaces intimes, poétiques, fictifs. Elles créent des faux-semblants de sécurité et d’immunité, elles sont le sujet de revendications et de réglementations. Elles sont intimement liées à qui nous croyons être, à notre conception de l’identité et de l’Autre. Ces lignes, ces frontières lorsqu’elles se matérialisent en nous et autour de nous, réduisent à néant ce que nous avons en commun. À titre de « passants », comme nous nomme si justement le philosophe Achille Mbembe, nous croyons qu’il nous incombe d’« [a]ssurer, organiser et gouverner le passage et non instruire de nouvelles fermetures. »
C’est naturellement que cette question, inspirante mais parfois polarisante, s’est imposée dans la construction de la 12e édition du OFFTA. Tout d’abord, parce qu’elle fait intrinsèquement partie de l’essence du festival. À chaque édition, nous tentons d’estomper quelques frontières, disciplinaires ou imaginaires, pour accueillir toute forme d’hybridité.
Et puis évidemment, par le travail des artistes qui composent cette édition, car ils sont de ceux et celles qui créent des fissures dans nos murs. En (ré)imaginant notre monde, en le confrontant à ses différentes facettes et en nous laissant tout l’espace pour envisager de nouvelles perspectives.
Ces artistes qui abordent sans crainte ces lignes tracées dans nos esprits sans que nous l’ayons choisi, nous sommes convaincus qu’ils détiennent une part de la solution.
Alors laissons-leur tout l’espace pour faire brèche.
Brèche dans ces murs fictionnels qui nous paralysent.
Pour qu’enfin, ils s’effondrent et que de leurs débris d’autres mondes puissent émerger.
Les codirecteurs, et l’équipe de LA SERRE – arts vivants