• Prendre le pouls - Géodésique (2015) - Marlène Renaud-B.



29/05/2015

1.Petite synthèse malhonnête du débat « Être riche » tenu lors du lancement de la programmation du OFFTA au Parc Émilie-Gamelin


 

Premièrement.
 
Ça a l’air qu’on se trouve pas pauvres, nous autres les pauvres : on est endettés, sous-financés, austérisés, hypothéqués, précarisés, nourris par nos amis, pis on est riches pareil. On a envie de se le dire, on dirait que ça nous fait du bien. On se dit ça entre nous, entre pauvres, on s’encourage, on se dit qu’on sait tout faire, qu’on peut tout faire, on se dit qu’il n’y a rien à notre épreuve. On s’évoque de la dignité. De l’existence. J’existe donc je suis riche. Un gars endetté de 1000$ sur sa carte de crédit vient au micro nous dire qu’il a une famille pis des amis, pis qu’il est fier de ça.
 
            Latin divinitae, grec ploutos : brillant, jour, divin.
            Riche (12e siècle) : du francique rikki signifiant « puissant ».
 
C’est quoi alors, la puissance ? Un mot barbare, qui évoque quelque chose de plus grand que nature, peut être quelque chose d’absolu. J’aimerais dire : la puissance, c’est la survie. Le simple fait d’exister. [Je trouve que Catherine Lalonde l’a impeccablement exprimé, tout ce que ça implique, pas un mot de trop] C’est peut-être ça la richesse « des pauvres qui s’organisent » du comité invisible cité dans l’éditorial de l’OFFTA. Un monsieur philosophe fâché que l’on réduise la richesse à sa définition matérielle écrit : « Les richesses consistent toujours en des droits ». Pensons à ça, deux fois par jour cette semaine.
 
Deuxièmement.
 
Un monsieur est venu au micro vers la toute fin du débat, et il a demandé si tous les métiers n’avaient pas leur utilité, pas juste l’art des artistes, et si on ne devait pas créer une mesure pour déterminer l’utilité du travail de tous : ben c’est certain, monsieur, que tous les apports en production sont importants, mais pourquoi c’est pas évident ? Posons-nous la question. Je remarque que ça fait un petit effet pas sympathique aux gens, quand les artistes crient au manque de financement des arts, au manque de reconnaissance de cette « richesse » du « nous » [John Boyle-Singfield lis un texte du Gardian qui défend le financement des arts, Christian Saint-Pierre livre un plaidoyer pour la reconnaissance de l’art comme richesse collective]. Pourquoi ça froisse les gens ? Je ne le sais pas, mais ça serait vraiment important de répondre au monsieur.
 
Moi, j’ai demandé que l’art nous fasse manger, qu’il nous loge, qu’il nous fasse vivre. Personne n’a rien compris à ce que je disais (je ne sais pas moi-même comment ça marche, mais je sais que ça marche – j’y reviendrai, c’est un problème disons anthropologique).
 
Et de savoir, encore à propos du monsieur, s’il faut une mesure de l’utilité : pour moi, c’est clair que la réponse est non : on en a une mesure à l’heure actuelle, et c’est le profit calculé en devises.
 
            Richesse : « tout ce qui répond à des besoins et des désirs » (Lalande).
 
C’est assez clair que les besoins et les désirs, c’est infini, et que ce qui peut y répondre, à commencer par la lumière du soleil et l’eau de la mer et la coopération entre les êtres, ça aussi c’est infini (et gratuit. Allo ?). À quand une grammaire de la démesure ?
 
Troisièmement.
 
Ça a l’air que nous autres les pauvres, on a aussi envie de le dire aux riches qu’on est pas pauvres. On a envie de s’adresser aux gens du pouvoir, aux riches, aux accumulateurs, aux enivrés de l’argent, les pauvres riches, les austérisateurs qui prennent beaucoup l’avion, les milliardaires empiffrés, les barbares repus qui rasent les cités de l’art à coup de sabre budgétaire, les égoïstes aux collections de chaussures, les imbéciles en jets privés. On a envie de leur faire la morale [Sarah Berthiaume chicane Guy Laliberté, Étienne Lepage se déguise en Aristote et condamne la chrématistique, l’usage immoral de la richesse].
 
Pourquoi s’adresse-t-on à ces gens ? Pourquoi notre regard se porte-il parfois vers le haut, quand nous amorçons la litanie des pauvres qui sont quand même riches d’être, pourquoi persistons-nous  vouloir la reconnaissance du pouvoir ? Expression du manque social-démocrate ? La redistribution de la richesse sauverait-elle la mise qu’on appelle humanité ? Pourquoi accordons-nous du pouvoir à l’argent ? Pourquoi nous reconnaissons-nous nous-mêmes comme « leurs » pauvres ? Les artistes, les pauvres de l’État, les petits salariés, les pauvres des milliardaires, les exclus, les pauvres de tout le monde.
 
Est-ce que nous disons la vérité quand nous disons que l’argent n’est pas la seule forme de richesse, ni la plus intéressante ? L’argent, en tous cas, pour l’heure, ça loge, ça fait manger.
 
Que l’on ne se froisse pas, ici, de cette dureté de jugement. Simplement, si, devant les problèmes théoriques les plus difficiles, nous acceptons de nous réfugier dans notre Nukutepipi mental, on ne vaut pas beaucoup mieux que ti-Guy-la-réussite – et on s’est entendus pour dire que c’est en dessous de la barre.
 
Post-scriptum.
 
Quand mon amie Jade est arrivée sur les lieux du lancement, à « l’espace Gamelin », elle m’a dit : « ma fille, tu es tombée dans un nid de guêpe ». Les gens qui travaillent avec les gens de la rue, et les gens qui vivent dans la rue, le monde pauvre qui séjourne au parc Émilie-Gamelin, se sentent passablement bousculés par l’installation de cet « espace » où il est attendu que l’on consomme des drinks plaisants et du fast-food de qualité, où tu te fais accoster par des garçons avec des gros chandails rouges du quartier des spectacles si tu bummes une cigarette, où tu te fais casser les oreilles par du monde riche qui se disent pauvres et qui veulent dire dans un miro qu’ils sont riches (mais à qui parlent-ils ?, doit-on se demander en fumant une toppe sur la pelouse).