• Prendre le pouls - Géodésique (2015) - Marlène Renaud-B.



Dalie Giroux - Folle du roi

Cette année, notre philosophe en résidence Dalie Giroux publiera des textes relatifs à notre programmation suivant la thématique du festival «être riche». Vous trouverez-ci-bas ses réflexions sur les diverses activités et facettes du OFFTA.

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Willy Stöwer, Der Untergang der « Titanic », 1912 (détail).

L’existence, nous raconte en substance « Logique du pire » d’Étienne Lepage, n’est peut être jamais autre chose que ce qu’elle est, malgré tous nos efforts pour lui attribuer une valeur supérieure, ou même une valeur tout court – mauvais amis, mauvais fils, mauvaise blonde, mauvais chum, morts insignifiantes, jobs insignifiantes, raisons insignifiantes de persister dans l’existence, jusqu’à l’équivalence écoeurante de l’œuvre humaine et de la mayonnaise dans un sandwich, jusqu’à l’autodestruction festive (je me casse la gueule, donc j’existe), jusqu’à la révulsion que soulève l’idée d’envisager l’idée de ne jamais mourir (au moins laissez-nous mourir). Le dégoût d’une existence qui refuse obstinément d’être à la hauteur de la valeur qu’on lui accorde.

On voudrait tellement que notre vie vale quelque chose, qu’elle puisse signifier quelque chose, on voudrait que l’existence individuelle ait un but (l’être humain, nous dit Nietzsche, est cet animal qui est soumis à une condition de plus que les autres : il a besoin de se rappeler, de temps à autre, pourquoi il existe).

On voudrait s’améliorer, être meilleur, se dépasser, faire quelque chose de bien dans la vie, être un modèle, contribuer : augmenter sa propre valeur, augmenter sa propre existence, être porté par une force métaphysique qui donne une autorité, une raison d’être à nos vies (selon le premier sens d’autorité, auctoritas, « augmenter »). Pour ne pas être insignifiant, pour ne pas valoir rien. Ne pas être rien. Ne pas ressentir l’intrinsèque médiocrité qui afflige le réel : celui qui s’accepte médiocre, qui ne veut pas être autre chose, qui se voit et se reçoit dans son insignifiance est « le pire être humain du monde ». Il reconnaît son humiliation, c’est-à-dire son existence.

Clément Rosset, philosophe iconoclaste d’une « Logique du pire » publiée à la fin des années 1970, militait contre le « dédoublement du réel » : il fallait cesser, selon lui, de doubler le réel d’une signification. Il fallait arrêter de prêter de la valeur au choses – la valeur que l’on accorde aux choses (à soi), elle n’appartient pas aux choses elles-mêmes (à soi-même), elles ne sont que des appareils thérapeutiques que l’on greffe sur elles, sur soi, pour survive à l’insignifiance de l’existence, à son caractère tragique.
 
Le totem de cette  philosophie : Le Titanic, mécanique raffinée, mascotte du progrès européen, fin du fin de la sécurité bourgeoise, qui ne pouvait pas couler, parce qu’il était conçu pour contrer toutes les occurrences d’accidents menant au naufrage, parce qu’il a été construit par les meilleurs architectes et ingénieurs du monde, et qui, pourtant, a coulé. Imperturbablement, il a rejoint le fond des mers.

Le réel est implacable, la valeur qu’on accorde aux choses n’a aucun effet sur celles-ci. Le réel est radicalement indifférent à l’humanité qui le pense.

*

La thérapie de la logique du pire consiste à voir le réel tel qu’il est, dépouillé des panaches et des guirlandes de valeur que l’on accroche à ses aspérités.

Sa politique serait : « sauves-toi à la course » devant les appareils d’attribution de valeur.

L’horizon prospectif, la question qui donne mal à la tête, qui est au final le problème même de la richesse, l’embûche philosophique qui nous est impartie : comment penser l’existence et les choses sans la béquille de la valeur, sans toujours produire de la valeur, sans donner une valeur à l’existence ?

(Peut-être qu’Étienne Lepage nous suggérerait d’écrire la réponse à cette question sur un petit papier, de le rouler, de le mouiller, de se coucher sur le côté, de lever la jambe et de se l’insérer dans le rectum de manière à ce qu’il n’en ressorte jamais. Mais peut-être pas : l’espoir prend parfois des formes brutales, et de la valeur il n’est peut-être pas aussi facile de se délester que le laisse l’imaginer la posture tragique.)



Pieter Brueghel l'Ancien, Le Vin de la Saint-Martin (détail), 1565-68.


[propos composé à partir de l’analyse d’un ensemble d’interventions anonymes dans un débat en ligne sur la question du droit, ou non, qu’ont les pauvres de critiquer les riches – les citations des intervenants sont citées textuellement, sans corriger la langue ni la syntaxe]

Premièrement : de l’entre-possession des riches et des pauvres

Le riche est un personnage éternel, une « figure ». Et, toujours, il est la chose des pauvres. Comme la princesse qui accouche, comme le pape qui va aux toilettes, et comme le yabe qui séduit les tites filles, le riche fait partie de l’univers des gens d’en bas.

Ainsi, quand les pauvres s’adressent aux riches, ils le font toujours sous le mode de l’interpellation publique (eille, le gros, pour qui tu te prends ?, ou, à haute voix, à la ronde : « l’as-tu vu, l’cochon, dans l’beurre ?). Toujours sous le mode de l’interpellation, c’est normal, puisque les riches ne se tiennent pas aux mêmes places que les pauvres. Comme disait un gars qui en a plein le cul, « « Avez-vous pensé qu’il a peut-être acheté une île pour avoir la paix des gens comme vous? ». Il faut crier pour qu’un riche nous entende.

Et peut-être que c’est pour cette raison que nous ont été proposés les parlements et la télévision et les zones d’interactivité – des scènes publiques où l’on fait, comme on dit, « société ». Pour faire croire aux pauvres qu’ils parlent avec les riches, pour faire croire aux riches qu’ils doivent quelque chose aux pauvres.

Et on veut bien y croire, que les gens d’en bas sont avec les gens d’en haut, et que les gens d’en haut appartiennent aux gens d’en bas. Certains veulent y croire. Ils leurs demandent de payer de l’impôt, ils disent aux riches, à « leurs » riches, de rendre ce qu’ils ont reçu, de partager, de ne pas dilapider leur fortune en jouissance personnelle comme les tyranneaux de La Boétie, avec des filles livrées dans des gâteaux géants, de la drogue chimique à volonté, des potlatch de gazoline, et des travailleurs qui gagnent juste assez pour maintenir leur marge de crédit, ce pendant que le pauvre monde fait la file à la banque alimentaire et va dans les cocktails faire le beau pour les producteurs.

Nous sommes convaincus, nous les pauvres, et nous voulons les convaincre, eux les riches, que nous sommes ENSEMBLE. Un individu qui se présente sous le pseudonyme de Pour la collectivité demande : «  et qu’arrive-t-il si, pendant l’apocalypse que s’imagine M. [Chose], alors qu’il se retrouve sur son île sécuritaire avec sa famille, un bateau de migrants se pointe ? ».

Le bateau de migrants, c’est nous, les pauvres. On veut accoster sur les rives de la richesse et les riches font semblant qu’ils ne nous connaissent pas. Ben voyons, tu nous reconnais pas ? C’est nous ! On est nés dans le même hôpital ! On est allés à l’école ensemble ! T’as minouché plusieurs de nos petites sœurs ! On a servi le canard pis les pommes de terre duchesse à tes noces ! Nos enfants travaillent pour toé !

Les pauvres s’estiment en quelque sorte riches de leurs riches. Les pauvres, la fois qu’on a signé le contrat social (tsé, cette fois-là…), ils avaient compris que les riches étaient du monde comme eux-autres, avec eux-autres – c’est pourquoi ils se permettent de les interpeller, parfois, dans l’espace public : elle, le gros…

Et parfois, on dirait que les pauvres sont exaspérés – parce que les riches n’écoutent pas. Alors les pauvres portent des jugements sur les riches, comme, parfois, on juge nos amis, nos parents, nos collègues, nos concitoyens et les actrices à la télé. Logixca dit : « On ne peut que souhaiter du bien à [Monsieur Chose] et ceux qui le côtoient. C’est un Québécois qui a le goût que les choses bougent et pour ça, il a un certain capital de sympathie mais ses actions, au plan fiscal, en disent long sur son opinion de ses concitoyens ».

Il reste que desfois les pauvres sont tannés de se faire charrier – ils ont le sentiment que les riches sont riches sur leur dos, et qu’ils doivent quelque chose de leur richesse aux pauvres.

Les riches font leurs affaires, ils leur parlent de leurs affaires, ils les embarquent dans leurs affaires, ils leurs demandent de voter des lois en faveur de leurs affaires et d’acheter leurs patentes à gosse, et leurs affaires, constamment les concernent, les impliquent, les réquisitionnent, les bousculent, les organisent, les ébahissent, leur demandent participation, approbation, et admiration. Non pas : qui m’aime me suive, mais bien : tu vas me suivre pis c’est toute.

Deuxièmement : des mauvais affects

Comme les riches ne répondent jamais aux pauvres quand les pauvres interpellent les riches, il y a toujours quelques hordes de pauvres pour venir à leur défense – « ces pauvres qui aiment trop » – un bon vieux sujet de sociologie politique.

Les pauvres qui aiment les riches sont très fâchés contre les pauvres qui critiquent les riches – ils trouvent que les pauvres sont juste des jaloux et des incapables (d’être riches). Marco Polo demande à la ronde : « tout le monde envie les milliardaire et les juges pourquoi??? Parce qu'ils peuvent vous acheter à crédit? Cela vous insulte? », et Les tartistes, devant l’argument que les riches dans le mauvais usage de leur richesse finissent par voler la richesse publique, s’écrient : « Un vol??? Encore un qui veut sa place au soleil mais ne peut l’atteindre … Qcois mou attitude molle , je me souviens .. De rien ….tel est la devise ». (Notons ici le glissement entre pauvres et Québécois).

Ils trouvent que les pauvres sont vraiment pauvres (il n’y a pas, pour eux, de pauvres riches) et ne peuvent parler qu’à partir d’une situation fondamentale, la leur, de manque. Les pauvres qui aiment les riches se trouvent vraiment vraiment pauvres, et ils trouvent que c’est de leur propre faute s’ils sont vraiment pauvres, et ils trouvent que si tu t’en plains, c’est que tu ne te sens pas suffisamment coupable d’être pauvre – ils trouvent même souvent que les pauvres qui ne se trouvent pas si pauvres puisqu’ils prennent la parole, puisqu’ils trouvent que les riches sont un peu pauvres dans leurs manières, puisqu’ils se permettent d’interpeler publiquement les riches sur leur pauvreté, ils trouvent que ces pauvres là méritent d’être punis. Alors ces pauvres pénitents traitent les pauvres insolents de jaloux, de mous, ils leurs offrent leur pitié, ils leurs disent, en gros, de fermer leur gueule, parce qu’ils ne sont après tout que des pauvres.

Ils ont l’air de trouver qu’il n’y a pas assez de souffrance dans le monde, et ils se donnent la mission purificatrice d’en exercer un petit montant personnel. Les pauvres pénitents sont au moins, on peut le dire, riches de ressentiment.

Ils trouvent même que les riches, encore plus qu’eux-mêmes, ont le droit d’exercer de la violence sur les pauvres. François, un pauvre, dit à un autre pauvre : «  Combien d’emploi as tu créé toi. [Chose] 5000 dans le monde entier. Pas si mal [Chose]. Quand tu aura créé autant d’emploi […] tu pourra cracher sur [Chose] ». La création d’emploi donne le droit de cracher sur les autres – les pauvres eux, n’ont pas le droit. La contribution économique est récompensée, dans ce système symbolique, par un droit d’exercer la cruauté.

Nous existons, de toutes façons, nous les pauvres, à travers nos riches – sans eux nous ne sommes rien, et pour cela, ils ne doivent jamais être inquiétés de leur richesse : « si une personne comme [M. Chose] réussi et créer des milliers d’emplois et au québec et fait briller notre province….bien il mérite l’argent qu’il a » (Alexandre). Encore une fois : fermez vos gueules, les pauvres.

À celui qui veut s’en prendre à un de « nos riches », eux qui nous font exister, eux qui ont droit de nous cracher dessus pour cette raison, Johanne R. rappelle ceci : « Il a fait sa fortune tranquillement, souvenez-vous du début […], s’était pas facile. Et maintenant qu’IL a réussi on lui tombe dessus…. franchement, laissons donc vivre les riches à leur manière. À moins que l’on devienne communiste/socialliste… comme à Cuba ou l’ancienne URSS. Nous sommes un pays qui permet à tous de devenir riche ou presque, et bien vivre. Lâchez les obligations de faire çi et ça parce que l’on est chanceux dans la vie ».

Les riches (les « chanceux dans la vie ») atteignent même un statut d’impunité tellement nous leur sommes redevables, c’est la marque, du point de vue du manque et de l’auto-flagellation des pauvres, des sociétés libres : « D’ailleurs il vous doit quoi [Chose] …. Sweet f$@:$ all! Only the strong survive and fight for your fight … ». C’est la version hallucinatoire du contrat social : chacun pour soi. Les riches sont intoxiqués, et les pauvres au bord de l’inanition – ils divaguent ENSEMBLE.

Les riches, on pourrait même dire, sont comme les Monsieurs, et les pauvres qui critiquent les riches, les pauvres insolents, sont comme les Madames. Les pauvres pénitents, eux, sont les enfants de ce couple. Triade freudienne, dimension sexuelle des rapports entre le haut et le bas. Ainsi, apeuré, bébé Marco Polo dit à Maman l’insolente : « Continue à vouloir dénigrer Mr et un jour tes enfants vont s’en rendre compte que vous êtes de mauvaise foi. Mme et que Mr a une limite tout de même à vouloir donner sa montagne d or (et c’est comprenable) ». Bébé pauvre prend pour papa riche et rapporte maman insolente à la Gestapo. Pipi, lolo, dodo.

Et finale de cette moralité du manque : il y a quand même un échappatoire à l’enfer du manque – c’est la Bonne Nouvelle qui est répandue parmi les pauvres (et c’est vraiment une bonne nouvelle, parce que c’est les riches qui nous l’ont dit au parlement et à la télévision et dans la zone interactive). Parole de l’évangile selon Stéphanie : « Personne n’est obligé à être à quelque part. Y’en a d’autre [entreprise] ou y’en a d’autres emploies ». Parole de l’évangile selon Jean P. : « … nous sommes sur une planète ou tous a droit faire ce qui veux de son argent si tu veux patager ton argent libre a toi mais écoeuré pas les autres et pour être riche c est a la portée de tous suffit de s enlevé les doigts du nez et du cul […] ».

Post-scriptum

J’ai essayé d’enlever mes doigts de mon nez et de mon cul, et je me suis retrouvée assise sur une montagne d’or. Vous penserez à ça pour le financement de la culture…


 

Premièrement.
 
Ça a l’air qu’on se trouve pas pauvres, nous autres les pauvres : on est endettés, sous-financés, austérisés, hypothéqués, précarisés, nourris par nos amis, pis on est riches pareil. On a envie de se le dire, on dirait que ça nous fait du bien. On se dit ça entre nous, entre pauvres, on s’encourage, on se dit qu’on sait tout faire, qu’on peut tout faire, on se dit qu’il n’y a rien à notre épreuve. On s’évoque de la dignité. De l’existence. J’existe donc je suis riche. Un gars endetté de 1000$ sur sa carte de crédit vient au micro nous dire qu’il a une famille pis des amis, pis qu’il est fier de ça.
 
            Latin divinitae, grec ploutos : brillant, jour, divin.
            Riche (12e siècle) : du francique rikki signifiant « puissant ».
 
C’est quoi alors, la puissance ? Un mot barbare, qui évoque quelque chose de plus grand que nature, peut être quelque chose d’absolu. J’aimerais dire : la puissance, c’est la survie. Le simple fait d’exister. [Je trouve que Catherine Lalonde l’a impeccablement exprimé, tout ce que ça implique, pas un mot de trop] C’est peut-être ça la richesse « des pauvres qui s’organisent » du comité invisible cité dans l’éditorial de l’OFFTA. Un monsieur philosophe fâché que l’on réduise la richesse à sa définition matérielle écrit : « Les richesses consistent toujours en des droits ». Pensons à ça, deux fois par jour cette semaine.
 
Deuxièmement.
 
Un monsieur est venu au micro vers la toute fin du débat, et il a demandé si tous les métiers n’avaient pas leur utilité, pas juste l’art des artistes, et si on ne devait pas créer une mesure pour déterminer l’utilité du travail de tous : ben c’est certain, monsieur, que tous les apports en production sont importants, mais pourquoi c’est pas évident ? Posons-nous la question. Je remarque que ça fait un petit effet pas sympathique aux gens, quand les artistes crient au manque de financement des arts, au manque de reconnaissance de cette « richesse » du « nous » [John Boyle-Singfield lis un texte du Gardian qui défend le financement des arts, Christian Saint-Pierre livre un plaidoyer pour la reconnaissance de l’art comme richesse collective]. Pourquoi ça froisse les gens ? Je ne le sais pas, mais ça serait vraiment important de répondre au monsieur.
 
Moi, j’ai demandé que l’art nous fasse manger, qu’il nous loge, qu’il nous fasse vivre. Personne n’a rien compris à ce que je disais (je ne sais pas moi-même comment ça marche, mais je sais que ça marche – j’y reviendrai, c’est un problème disons anthropologique).
 
Et de savoir, encore à propos du monsieur, s’il faut une mesure de l’utilité : pour moi, c’est clair que la réponse est non : on en a une mesure à l’heure actuelle, et c’est le profit calculé en devises.
 
            Richesse : « tout ce qui répond à des besoins et des désirs » (Lalande).
 
C’est assez clair que les besoins et les désirs, c’est infini, et que ce qui peut y répondre, à commencer par la lumière du soleil et l’eau de la mer et la coopération entre les êtres, ça aussi c’est infini (et gratuit. Allo ?). À quand une grammaire de la démesure ?
 
Troisièmement.
 
Ça a l’air que nous autres les pauvres, on a aussi envie de le dire aux riches qu’on est pas pauvres. On a envie de s’adresser aux gens du pouvoir, aux riches, aux accumulateurs, aux enivrés de l’argent, les pauvres riches, les austérisateurs qui prennent beaucoup l’avion, les milliardaires empiffrés, les barbares repus qui rasent les cités de l’art à coup de sabre budgétaire, les égoïstes aux collections de chaussures, les imbéciles en jets privés. On a envie de leur faire la morale [Sarah Berthiaume chicane Guy Laliberté, Étienne Lepage se déguise en Aristote et condamne la chrématistique, l’usage immoral de la richesse].
 
Pourquoi s’adresse-t-on à ces gens ? Pourquoi notre regard se porte-il parfois vers le haut, quand nous amorçons la litanie des pauvres qui sont quand même riches d’être, pourquoi persistons-nous  vouloir la reconnaissance du pouvoir ? Expression du manque social-démocrate ? La redistribution de la richesse sauverait-elle la mise qu’on appelle humanité ? Pourquoi accordons-nous du pouvoir à l’argent ? Pourquoi nous reconnaissons-nous nous-mêmes comme « leurs » pauvres ? Les artistes, les pauvres de l’État, les petits salariés, les pauvres des milliardaires, les exclus, les pauvres de tout le monde.
 
Est-ce que nous disons la vérité quand nous disons que l’argent n’est pas la seule forme de richesse, ni la plus intéressante ? L’argent, en tous cas, pour l’heure, ça loge, ça fait manger.
 
Que l’on ne se froisse pas, ici, de cette dureté de jugement. Simplement, si, devant les problèmes théoriques les plus difficiles, nous acceptons de nous réfugier dans notre Nukutepipi mental, on ne vaut pas beaucoup mieux que ti-Guy-la-réussite – et on s’est entendus pour dire que c’est en dessous de la barre.
 
Post-scriptum.
 
Quand mon amie Jade est arrivée sur les lieux du lancement, à « l’espace Gamelin », elle m’a dit : « ma fille, tu es tombée dans un nid de guêpe ». Les gens qui travaillent avec les gens de la rue, et les gens qui vivent dans la rue, le monde pauvre qui séjourne au parc Émilie-Gamelin, se sentent passablement bousculés par l’installation de cet « espace » où il est attendu que l’on consomme des drinks plaisants et du fast-food de qualité, où tu te fais accoster par des garçons avec des gros chandails rouges du quartier des spectacles si tu bummes une cigarette, où tu te fais casser les oreilles par du monde riche qui se disent pauvres et qui veulent dire dans un miro qu’ils sont riches (mais à qui parlent-ils ?, doit-on se demander en fumant une toppe sur la pelouse).